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Raisin et sentiments
31 mai 2015

Week-end à Bordeaux (2) : au septième ciel de Chérubin

    On ne pouvait pas passer deux jours dans le Bordelais sans aller à Saint-Émilion, aussi attractif par ses vins que par son décor pittoresque classé au patrimoine de l’Unesco. Certes, on ne fait pas les fiers au réveil, mais après un petit déjeuner chez Gaston (adresse hautement recommandable), on prend la voiture avec enthousiasme. Il faut dire qu’à la perspective de visiter un lieu si riche en histoire et en bon merlot s’ajoute celle, encore plus réjouissante, de retrouver Bertrand Bourdil, propriétaire du Château Chérubin devenu ami de notre club.

 

saint-emilion

    Saint-Émilion est un de ces villages célèbres dont la foule quotidienne de touristes n’a pas ôté tout le charme. Entre festival de philosophie et rallye de belles voitures, les jolies places autour de l’église monolithe ne désemplissent pas. Les spécialités locales, peu compatibles avec le pavé glissant et inégal des rues en pente, emplissent les vitrines, de la boutique vantant ses grands crus à 10€ à la cave où trônent des magnums de Château Pavie, voire simplement la liste des cotes de Petrus par millésime. Ayant des salaires moins fastueux que nos rêves, nous visitons la ville comme un musée exhibant des chefs-d’œuvre auxquels on n’a pas le droit de toucher.

 

loupe

    C’est qu’à vrai dire, nous avons bien mieux ailleurs. Quelque part au milieu des petites collines couvertes de vignes, à un jet de pierre de l’Angélus et d’Ausone, Bertrand et sa famille nous attendent pour déjeuner « en toute simplicité ». La construction de la maison est encore inachevée – la première cuvée de Chérubin, en 2006, fut vinifiée en plein chantier. Bertrand, dont je ne connaissais que les vins jusqu’à présent, nous fait un tour du propriétaire ; il nous présente d’abord ses vignes, parle avec passion de l’odeur des fleurs minuscules, des traitements biodynamiques, des six cépages plantés ici, de sa nouvelle parcelle. Nous visitons ensuite le chai, petit à l’image des deux hectares de vignoble du Château Chérubin : seulement vingt-quatre barriques, soit six à huit mille bouteilles par an. Clément, six ans, et Léo, trois ans, se bousculent bruyamment autour de nous – une cave viticole est un terrain de jeu inépuisable mais périlleux…

 

    Sans se départir du calme olympien des sages, leur père nous sert des pépites à la pipette : il s’agit de la cuvée 2014, que nous sommes parmi les premiers à déguster, et qui nous donne l’occasion de découvrir les importantes nuances que peut apporter la barrique. En effet, les deux fûts que nous testons sont de chêne de Tronçais et se ressemblent comme deux gouttes de vin, mais viennent de merranderies différentes. La première fabrique des barriques plutôt réductives ; le vin présente des arômes fruités intenses (framboise, cerise, fruits noirs) et des épices douces, sur une bouche corsée. La seconde barrique, plus oxydative, livre un vin très mûr, aux parfums floraux et de fraise, avec un boisé vanillé, et une bouche plus veloutée (quoique encore très marquée par les tanins du bois). Pour finir avec le cru 2014, nous assemblons les deux barriques dans notre verre : le tout a beaucoup de corps, avec des touches de cerise et de rose. Nous poursuivons avec deux cuvées déjà embouteillées, mais qui ne seront pas distribuées avant une ou deux années. Le millésime 2011 a des notes très suaves (bonbon à la cerise), un nez ouvert et expressif, une bouche concentrée. Mais c’est le 2012 qui nous paraît voué au plus bel avenir : pour l’instant, il se livre moins, mais possède déjà tout un bouquet boisé et empyreumatique (réglisse, fumée, cacao, vanille) ; la fin de bouche, par son acidité et ses tanins puissants qui gênent aujourd’hui, promet un vin de très bonne garde, à la hauteur de ses titanesques voisins… Toute cette dégustation relève du privilège exclusif : Bertrand fait très peu de publicité, évite les salons, les primeurs, les journalistes. Il fait son petit nectar dans son coin et ne le met sur le marché qu’après un patient élevage dans sa cave. Au récit de l’enthousiasme de Michel Bettane lorsque nous lui avons fait découvrir Chérubin, Bertrand sourit : il lui plaît que son vin soit connu par bouche à oreille, mais il n’en demande pas plus.

table

 

     L’heure est venue de passer à table : à côté de Bertrand et Magali, de leurs enfants et des parents de Bertrand, nous nous sentons vraiment en famille. En entrée, on découvre avec délices le tourin périgourdin de Colette (la grand-mère), une soupe à l’ail et aux œufs agrémentée d’une pointe de graisse de canard, et le pâté au foie gras maison des grands-parents ; le tout est agrémenté du rosé de saignée que notre ami produit strictement pour usage familial. Étrangement encore en appétit, on se jette comme des sauvages sur de superbes entrecôtes bien saignantes grillées par Bertrand sur les sarments de vigne et escortées d’asperges blanches du Blayais. La viande est serrée mais extrêmement goûteuse, j’en mange probablement un kilo à moi seule en finissant sans vergogne les énormes portions servies sur la planche à découper. Les bouteilles de Chérubin 2008 et 2009, du velours intensément fruité pour le palais, descendent également très vite. Heureusement que j’en ai quelques unes dans ma cave ! Après un beau plateau de fromages et trois desserts (dont la croustade aux pommes et à l’eau-de-vie de Colette), on dépose enfin les armes. C’était donc cela, le déjeuner « en toute simplicité » ! Autour d’un café qui nous empêche momentanément de sombrer dans le coma des bienheureux, on bavarde avec Magali et Bertrand de leur métier d’œnologues, de leur parcours. L’après-midi est déjà bien avancée quand nous quittons, très émus, cette famille si accueillante et si simple dans sa grandeur. Nous tâcherons de revenir pour les vendanges et le fameux éraflage manuel, mais en attendant, une chose est sûre : Bertrand est un vigneron comme on n’en trouve pas d’Émilion !

groupe

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