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Raisin et sentiments
18 septembre 2015

Vins chiliens (7) : Casablanca. Emiliana, Morandé, Loma Larga et Bodegas RE

    À quelques kilomètres de Valparaiso, en longeant la côte vers le sud et Santiago, on voit défiler par la vitre de la voiture les entrées des domaines viticoles de Casablanca ; nombreux sont ceux qui ont établi leur vitrine sur cette route incontournable, même s’ils sont foncièrement étrangers à la région. Si la vallée Centrale (Maipo, Colchagua…) est le territoire des vieilles haciendas du XIXe siècle, Casablanca a commencé à attirer les vignerons dans les années 80-90. Son climat frais et capricieux rend cette petite vallée littorale réputée pour ses blancs (chardonnay, sauvignon) et son pinot noir. En fait, lors des quatre visites de cette longue journée, ce sont surtout les rouges qui m’ont marquée – une tendance qui reflète mon impression générale des vins chiliens.

Emiliana_vigne

    Emiliana, pionnier de la viticulture biologique (et même biodynamique) au Chili, est l’un des domaines les plus fréquentés qu’il me sera donné de voir. La foule de touristes venus caresser les alpagas et visiter les locaux me rebute, je m’en tiendrai à une dégustation au bar. Emiliana vendange des dizaines de cépages un peu partout dans la vallée Centrale. Les noms des gammes de vins, inscrits sur des étiquettes au motif plus ou moins primitif, participent d’une esthétique globale du retour à la terre et à l’authentique : par ordre croissant de prix, Adobe (avec notamment un chardonnay salin au goût de pamplemousse), Novas (dont le viognier est plutôt corsé), Signos de Origen (le carménère 2011, venu de Colchagua, est rond et gourmand) ; puis, pour les vins signature, Coyam et Gê (un rouge à plus de 60€). Le Coyam 2011, un assemblage à base de syrah, carménère, merlot et cabernet sauvignon venus d’une belle parcelle de Colchagua, présente un nez serré (chocolat noir, poivre), une bouche généreuse avec une base de fruits noirs et de jolies notes tertiaires (cuir, céréales torréfiées). C’est gourmand et structuré, mais ça flirte déjà avec les 20€…

Emiliana_alpaga

    Le clou du spectacle aujourd’hui, c’est la maison Morandé, un des gros producteurs du Chili, où nous faisons la rencontre de Pablo, sommelier passionné et passionnant qui en plein pays du blanc nous sert exclusivement des vins rouges – un point fort de ce séjour pour l’originalité, le contact humain mais aussi la qualité de quelques bouteilles. Nous dégustons ainsi le Tiraziš (du nom d’une ville de Perse), syrah emblématique et originelle de ces lieux : le millésime 2012 est marqué par la surmaturité du fruit, récolté tardivement, avec des notes très opulentes et un côté carné. Le seul autre vin local vient tout simplement du jardin : c’est un pinot noir nommé Despechado (« excusé ») parce qu’il est tiré d’un carré de vignes longtemps laissé à l’abandon et vinifié sans trop d’égards dans des petites cuves ovoïdes en béton. Rustique, le vin de jardin ! Reflets bruns, touche de vinaigre et d’animal, astringence… Le fruit reste agréable, mais palais sensibles s’abstenir ! Le niveau monte quand on se dirige plein sud, vers la vallée du Maule. D’abord l’intéressant Creole 2014, assemblage de país et cinsault venus du terroir aride et sauvage des huasos : sans surprise, le côté un peu vert et poivré ne me plaît pas beaucoup, mais j’apprécie le fruit intense extrait par cofermentation carbonique en grappes entières. L’Arteciopelado (« velouté », toujours 2014, toujours Maule), país et malbec, présente le même type d’arômes, mais moins relevés et avec des tanins plus ronds. Mais dans cette région, c’est l’édition limitée Black, Mediterráneo del Maule (2012), qui me fait tomber sous son charme : la recette, un assemblage de grenache avec, appariés en cofermentation, syrah et marsanne d’une part, carignan et roussanne d’autre part ; le résultat, un vin gourmand, superbement boisé, avec des notes de banane et de vanille et une bouche ample et longue.

    Mais ce n’est pas fini, car cédant aux sirènes du restaurant du domaine, au menu très appétissant, nous nous attablons derrière de délicieuses côtelettes de chevreau tandis que Pablo sort pour nous un carignan de la vallée de Loncomilla (2011, édition limitée Olvidado del Maule) : c’est très bien fait, dense, avec des notes chocolatées et une acidité maîtrisée. Nous avions apprécié plus tôt le sangiovese de cette même région (une sous-appellation de Maule), bien plus léger, avec beaucoup de fruit frais et de fleur. Enfin, sur une compotée de fraises et meringue italienne aux herbes rica-rica, Pablo nous sert deux sauvignons blancs liquoreux : un vendanges tardives 2013, dont la fraîcheur et la pointe d’acidité compensent le sucre, et le même en 2007, l’un des deux seuls millésimes de golden harvest (vendange 100% botrytisée), plus boisé, corsé, oxydatif, avec un prix proportionnel à son caractère exceptionnel.

Morande_golden_harvest

    L’après-midi commence par une visite à Loma Larga, un domaine implanté exclusivement sur le terroir de Casablanca, et devenu la référence de la région. Dans l’ensemble, je ne suis pas conquise par ces vins dont la maturité est moins poussée que chez leur voisin Morandé : le sauvignon, végétal et très acide, laisse le palais sur une sensation d’astringence, tout comme le pinot noir qui présentait pourtant une jolie gamme de fruits rouges au nez. Même les rouges plus structurés, comme cette syrah puissante ou ce malbec franchement bizarre, ont des tanins encore un peu durs. Je suis plus convaincue par le cabernet franc (2008), où l’on retrouve le classique poivron rouge adouci par le fruit intense et la rose, avec une bouche ronde et riche. Mention spéciale pour le chardonnay 2012, un des rares blancs que j’apprécie pour son onctuosité (arômes de miel, finale beurrée), bien que son nez reste assez fermé.

 

    Le soleil commence à décliner quand nous arrivons à Bodegas RE, une propriété toute jeune fondée en 2008, et dont les parcelles originelles sont en fait dans la vallée du Maule. L’atmosphère très bobo-alternative de la salle de dégustation, toute de bois vêtue, annonce la couleur : la maison vise un public branché avec son concept (REcréer, REinventer, REvéler), ses bouteilles primées par Descorchados (le guide de référence), ses huile d’olive et vinaigre balsamique artisanaux et ses assemblages spirituellement nommés par des mots-valises (pinot noir + moscatel = Pinotel, cabernet sauvignon + carignan = Cabergnan, etc.). Échaudés par le tarif de la dégustation (plus de vingt euros par personne pour cinq verres), nous nous limitons à deux vins. Le Chardonnoir 2013, produit ici à Casablanca, se veut un champagne sans bulles, avec 55% de chardonnay et 45% de pinot noir. C’est à la fois vineux et très gras, avec un léger perlant (pas assez pour rappeler le champagne tout de même) et une finale sèche. Un peu sceptique, je me rabats sur les saveurs que j’ai tant aimées chez Morandé, avec le Syragnan 2013 issues de vieilles vignes non irriguées de Maule : une explosion de fruits mûrs et séchés, de cacao avec une pointe de musc, une bouche très puissante aux tanins veloutés… Bonne manière de conclure une journée bien chargée !

Bodegas_RE

    Le bilan est plutôt étrange, puisque Casablanca est la région où j’aurai appris à aimer les vins de Maule ! Je pense qu’on a trop voulu faire de cette vallée une Bourgogne chilienne, en la réservant à la culture des cépages blancs et du pinot noir. Ces vins ont le mérite d’être rafraîchissants, mais manquent de matière. Pour le terroir de Casablanca, je retiendrai donc le cabernet franc de Loma Larga, une maison qui a le grand mérite de travailler sur un seul climat (frais et océanique) tout en sortant des cépages fléchés, ce qui lui réussit très bien. Mais en termes de signature, c’est de Morandé que je me souviendrai : play it again, Pablo!

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