750 grammes
Tous nos blogs cuisine Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Raisin et sentiments
27 septembre 2015

Vins chiliens (8) : Maipo, le choc des titans. Santa Rita et Concha y Toro

Concha_maison

Concha y Toro, la maison-mère

    Les deux producteurs dont je vais parler aujourd’hui ont leur maison-mère dans la vallée du Maipo, près de Santiago, et sont tous deux des leaders incontestés dans l’univers du vin chilien. Je leur ai rendu visite à des étapes différentes du voyage (Santa Rita au début, Concha y Toro plus tard), mais j’ai trouvé intéressant de les comparer ici.

    Présentons ces géants qu’on ne présente plus. Leur naissance remonte à la même époque, et – simple coïncidence – tous deux ont pour fondateur un notable nommé Concha : Don Domingo Fernández Concha pour Santa Rita (1880), Don Melchor de Concha y Toro pour le domaine qui porte encore son nom (1883). Le reste est une histoire d’expansion et de rachats, avec plus de gros sous que de vin. Concha y Toro appartient aujourd’hui aux actionnaires, sous une direction familiale qui comprend encore des descendants de Don Melchor. Santa Rita a été absorbée dans les années 80 par le magnat de la communication Ricardo Claro Valdés (soutien notoire de Pinochet). Concha y Toro est la marque de tous les superlatifs : dans le top 10 mondial en termes de volume vendu, elle possède presque 11.000 hectares au Chili, en Argentine et en Californie, ce qui en fait le plus vaste vignoble au monde. Bien entendu, elle domine complètement l’économie viticole chilienne, fournissant un tiers du commerce national et des exportations, et faisant la pluie et le beau temps dans le pays. À côté, Santa Rita, qui n’est que le troisième producteur national (après San Pedro), ferait presque pâle figure ; mais même si l’entreprise est tournée davantage vers le marché domestique que vers l’export, elle reste un poids lourd comme on en trouve peu dans l’Ancien monde.

SantaRita_exterieur

Santa Rita

    Concha y Toro et Santa Rita profitent abondamment du tourisme pour mettre du beurre sur leur caviar ; une enceinte protège ces immenses domaines de quiconque ne paierait pas son ticket d’entrée. Le fief historique de Concha y Toro, à Pirque (au sud de Santiago), consiste en une grande maison de style néoclassique au milieu d’un parc de 120 hectares, avec lac artificiel, essences exotiques et pelouses vallonnées. Un conservatoire d’une trentaine de cépages jouxte la parcelle réservée au vin-phare de la maison, le Don Melchor (moins de 200 bouteilles par an). Santa Rita, un peu plus au sud-ouest (Alto Jahuel), a gardé ses allures d’hacienda coloniale, avec des bâtisses à portiques toutes en longueur et un jardin intérieur coquet garni d’orangers. La collection de cépages est plus modeste, mais la vigne alentour plus grande. On admire notamment la parcelle Carneros Viejo, qui produit – dans les meilleures années – le fameux Casa Real, un cabernet sauvignon vinifié par la grande œnologue Cecilia Torres et porté aux nues par tous ceux qui ont eu la chance d’en boire.

Concha_Casillerodeldiablo

Casillero del Diablo

    Derrière leurs chiffres d’affaires et leurs contrats juteux, les monstres sacrés du vin chilien n’oublient pas qu’il faut faire rêver le consommateur. On se voit donc asséner le mythe fondateur de l’entreprise à grands renforts de vidéos de reconstitution pseudo-historique. Chez Concha y Toro, dans une atmosphère de train-fantôme gentillet, on visite le fameux Casillero del Diablo (cellier du diable) : Don Melchor, qui y entreposait ses meilleurs vins, aurait fait courir le bruit qu’il était hanté par le diable afin de dissuader les paysans locaux – naïfs et superstitieux, comme de juste – de la dévaliser. Chez Santa Rita, on nous montre l’entrepôt où Doña Paula, maîtresse des lieux, hébergea et soigna clandestinement les cent vingt rescapés de la bataille de Rancagua, héros de l’indépendance chilienne. Deux histoires allègrement romancées, deux celliers… la publicité idéale pour deux gammes de vins (« Casillero del Diablo » et « 120 ») produites et vendues massivement.

    Curieusement, ces légendes, l’une d’un riche qui dupe ses gens pour conserver son bien, l’autre d’une femme hospitalière et généreuse, correspondent bien à mon expérience de chaque domaine. Chez Santa Rita, le guide ne s’astreignait pas à la langue de bois et a rajouté un vin à la dégustation pour satisfaire notre curiosité. Chez Concha y Toro, je me suis sentie traitée comme du bétail à pesos : guide peu ouverte aux questions, visite expédiée chronomètre en main, pas d’explications sur les vins… Mais venons-en à ces derniers.

SantaRita_cellier

Santa Rita, le cellier

    La dégustation standard dans les deux maisons inclut trois vins, en commençant par un blanc d’entrée de gamme. Chez Santa Rita, je goûte d’abord le chardonnay Reserva (Casablanca, 2013) : le moût, qui a vu peu de fût, garde tout son fruité (agrumes, raisin, ananas…), avec une note surprenante de foin et une bouche tendue. Nous comparons ensuite deux cabernets sauvignons de Maipo, le Reserva (2012) et le Gran Reserva (2011) : encore une affaire de bois, les vins Reserva utilisant des fûts de troisième usage et les Gran Reserva, de deuxième usage. De fait, le premier cabernet présente des notes de fraise mûre, de poivron, de rose sur une bouche relevée mais manquant un peu de rondeur, alors que le second a acquis des tons vanillés, confits, d’épices et de cèdre, avec un velouté puissant qui annonce un certain potentiel de garde. En bonus, notre guide nous fait découvrir le carménère avec un Gran Reserva 2012 de Colchagua plutôt typique : reflets bruns, parfum végétal (poivron, moka) et fruité (griotte), bouche épicée, peu tannique. Passant au bar, je jette mon dévolu sur une belle affaire, un cru luxueux dont un verre (20cl au bas mot) coûte dix fois moins cher que la bouteille : Pehuén, carménère issu de vieilles vignes non irriguées d’Apalta, millésime 2011. Rien à voir avec le vin léger que je viens de déguster : un jus noir, concentré, boisé jusqu’à sentir un peu l’acétone, une bouche solaire et tannique ; bref, l’archétype du grand vin chilien – les snobs le jugeraient parkérisé, mais pour ma part je ne boude pas mon plaisir.

SantaRita_jardin

Santa Rita, le jardin

    En revanche, à Concha y Toro, j’enchaîne les déceptions. Le sauvignon blanc Gran Reserva 2014 (Litueche, Rapel) présente les notes classiques d’agrumes, fruits jaunes et cassis, mais l’acidité et la tension le rendent agressif. On nous présente la gamme Casillero del Diablo (exportée partout à bas prix, et qui n’a jamais vu le casillero en peinture) à travers un carménère de la Vallée Centrale, 2013 : fraise, poivre, presque un gamay, mais à dominante fumée ; en bouche, l’attaque est acide, le milieu fuyant, la finale courte. Quant au Terrunyo, un cabernet sauvignon local (Pirque, 2012) à plus de 25€ la bouteille, il dégage de beaux effluves de fruits confiturés, de rose musquée, de cuir et de chocolat, mais la bouche tannique manque d’élégance avec ses notes de cerise chimique. Il faut dire que c’est difficile d’apprécier des rouges servis à 20°C… Je décide à tort de donner une dernière chance à cette maison au bar, avec une édition limitée de la gamme moyenne Marques de Casa Concha, assemblage de país et cinsault – vieilles vignes, dry farming, macération carbonique et tout le saint-frusquin. Le país domine à 85% dans l’assemblage ; le musc et la fraise rappellent un morgon, la bouche est acide, peu concentrée et asséchante en finale. À quoi bon tant de fraîcheur si on n’est pas désaltéré ?

    Pour conclure, précisons que je n’entendais pas livrer ici un constat impartial, sachant très bien que mon expérience était liée au moment du voyage, à mes attentes et connaissances, à la taille du groupe, au caractère du guide, aux aberrations de Google maps… Peut-être Santa Rita est-elle en fait une cause désespérée, peut-être aurais-je dû prendre Concha y Toro par les cornes, mais en attendant de pouvoir revérifier, je reste sur Maiposition !

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 14 125
Publicité