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Raisin et sentiments
23 avril 2015

Victoire chez Pol-Roger !

PR2

    Chassez le naturel d’une bête à concours, il revient au galop sur la dernière ligne droite pour tenter de dépasser ses concurrents. D’avril à juin, c’est la saison des compétitions pour les clubs de dégustation de vins, et en ce moment, quand je ne suis pas en train d’écrire à un vigneron, d’organiser une séance avec un producteur ou de partir en week-end œnologique, c’est que je suis trop occupée à m’entraîner ou à passer un concours. J’ai déjà évoqué celui organisé par la grande maison de champagne Pol-Roger, mais il me reste à justifier l’affection particulière que je lui porte par quatre raisons, toutes plus subjectives les unes que les autres. D’abord, c’est le tout premier concours œnologique que j’aie passé dans ma vie de jeune padawan du vin ; et je chéris le souvenir du lever à 6h du matin, du TER vide à l’exception de quelques jeunes gens (étrangement bien habillés et tous groupés par trois), du magnifique décor du restaurant « Le Théâtre » à Épernay, du retour euphorique après un déjeuner inoubliable… Ensuite, je trouve les modalités de cette compétition, par comparaison avec d’autres destinées aux étudiants, très bien pensées : uniquement des vins abordables et trouvés chez le caviste, une dégustation à l’aveugle qui fait porter la grande moitié de la note sur le commentaire pertinent du vin (et non sur un pur jeu de devinettes sur sa provenance ou son cépage), nul besoin d’une érudition théorique parfois fumeuse, bref, un exercice d’humilité et d’honnêteté intellectuelle. Ma troisième raison d’aimer ce concours, c’est le goût de la victoire, qu’il m’a procuré à deux reprises maintenant ; et ma dernière raison, c’est Kosta. Mais j’anticipe.

 

    Une fois brillamment passée la première épreuve, celle du TER de 7h30 vers Bar-le-Duc, me voilà à Épernay, par cette belle matinée où le soleil a décidé de briller même pour la Champagne… Me voilà quasi à jeun en tête-à-tête avec six verres de blanc dont les pâles reflets ondoient sur la nappe bien propre et le papier encore vierge. Pays, région, appellation, cépage, millésime, commentaire : beaucoup de cases à remplir sur chacun des six vins en quarante minutes ! Je me rends rapidement compte qu’en termes de niveau, la finale nationale est un gros cran au-dessus des qualifications. Je songe avec des sueurs froides qu’il y a quelques mois, je faisais deux fois moins de points sur les blancs que sur les rouges… Mais l’entraînement a payé : le chardonnay du sud de la Bourgogne, le sauvignon de Bordeaux et même le traître chenin de Loire ne m’échappent pas. Comme d’habitude, il y a un et un seul vin étranger dans la série ; n’ayant jamais l’occasion d’en boire, je me contente de le trouver, sans identifier l’assemblage de sauvignon, chardonnay et muscat de Californie. Je n’ai pas non plus goûté plus de trois fois dans ma vie du vin corse, et ne repère pas le patrimonio. J’ai plus honte sur le côtes-du-rhône que je place en Alsace, non sans hésitation sur ces notes de pêche et d’abricot qu’il me semblait avoir trouvées sur des sylvaners. Pour la série de rouges, les choses se compliquent, en partie parce que je me sens gagnée par le déficit de sommeil et l’excédent de vessie ; j’arrive à prendre un graves rouge pour un cabernet franc de Loire, un grenache espagnol pour du merlot, et quant au vacqueyras et au corbières, je me demande si je ne les ai pas tout bonnement échangés… En revanche, comme souvent, j’ai plus de plaisir à goûter les rouges que les blancs, la série étant placée sous le signe du fruit (je ne me trompe pas en identifiant le beaujolais, gourmand et croquant).

12bouteilles

 

    Pendant que l’héritier de la famille Pol-Roger, Hubert de Billy, note ce que nous avons deviné des vins et que Kosta Anagnostopoulos, UMAO (Unité Mobile d’Analyse Organoleptique !), évalue nos commentaires, nous remontons les « Champs-Élysées d’Épernay », ce scandale esthétique où le béton alterne avec l’ardoise, l’art déco avec le néo-classique, le gothique avec le post-industriel dans une surenchère ostentatoire d’un goût plus que douteux. La traditionnelle visite de la crayère avec ses kilomètres de bouteilles recouvertes d’une vénérable moisissure noire est suivie d’un passage rapide par la maison Pol-Roger, où les grands travaux ont avancé depuis la dernière fois, et où la pelouse moelleuse et ensoleillée semble m’inviter à me vautrer pour une sieste. Mais c’est l’heure de l’annonce des résultats ; et si je ne suis guère surprise d’apprendre que le premier au classement individuel est mon coéquipier, abonné à la bouteille de cuvée Winston Churchill du vainqueur, je le suis davantage de découvrir que la meilleure note sur les blancs et celle sur les rouges reviennent à deux autres personnes de deux autres équipes. Quant à moi, je suis deuxième du classement total, comme aux qualifications, mais avec seulement deux ou trois points de moins que le premier (et ex aequo avec un jeune homme de l’EM Lyon, ce qu’omet soigneusement de dire la RVF) ! Le reste de la journée est l’histoire de six heures de conversation avec Kosta, depuis le succulent déjeuner au champagne jusqu’au retour à Paris en TER. On ne saurait décrire Kosta en lui rendant justice : il faut le connaître. Disons simplement que c’est un homme du monde comme on n’en fait plus, capable de converser intelligemment sur tout, et avec n’importe qui ; il a même l’air de s’amuser tout particulièrement avec nous autres, jeunes gens sans expérience qui le changeons de son public accoutumé d’entrepreneurs. Avec son idiome français parfait, mais prononcé avec un accent grec impayable, attentif à nos intérêts respectifs, il nous entretient tour à tour des accords mets-champagne, d’épicurisme et de stoïcisme, de plasticité cérébrale, du caddie de la fille d’Omar Bongo, des nouveaux Russes avec leur La Tâche-Coca, de la perfidie des chats, d’orgies gastronomiques dans un village fortifié d’Auvergne, du bonheur des Danois, du vin au pichet en Grèce, de l’art de touiller son café pendant cinq heures en terrasse… En somme, participer au concours Pol-Roger, ce n’est pas seulement se prêter à l’exercice périlleux de la dégustation à l’aveugle, profiter d’un superbe repas et repartir avec seize bouteilles pour l’équipe victorieuse : c’est aussi toute une leçon de savoir-vivre !

Pol-Roger_finale

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