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Raisin et sentiments
18 avril 2015

Un jour au SPIT

Spit

    Atmosphère particulière que celle des concours de dégustation pour grandes écoles. Des jeunes gens à la papille affûtée et à la dent longue, groupés par équipes de trois, déambulent d’un cocktail à l’autre en costard-cravate ; les robes, quoique de plus en plus nombreuses, restent minoritaires dans ce paysage où il n’est pas rare de voir des équipes exclusivement masculines. Au concours Pol-Roger, à Épernay, le principe est très simple : des étudiants français (dont les meilleurs affronteront ensuite Cambridge ou Oxford) rivalisent de sagacité autour de douze vins – six blancs et six rouges – dégustés à l’aveugle ; la note porte pour moitié sur l’analyse de chaque vin (pays, région, appellation, cépage, millésime) et pour moitié sur le commentaire détaillé. Lors des deux séries, chaque dégustateur est seul face à ses six verres, avec quarante minutes devant lui pour remplir sa feuille. L’équipe gagnante est celle dont les trois membres totalisent le plus de points.

 

    Pour le SPIT (acronyme astucieux mais pas très poétique du Sciences Po International Tasting), l’enjeu est différent. Le concours a lieu à Reims, dans la maison Bollinger qui est le principal sponsor de l’événement ; cette année, poussant toujours plus loin l’aspect international qui fait la particularité de ce concours et qui n’est pas pour peu dans sa difficulté légendaire, Sciences Po a invité sept équipes étrangères sur les douze participantes. La concurrence est féroce et le temps très limité : quelques minutes par question, avec notation et classement au fur et à mesure, et une finale dans la foulée des premières épreuves. La sélection des finalistes se déroule en trois thèmes : champagne, blanc, rouge. Chacune de ces épreuves se divise en deux phases, l’une théorique (QCM ou question ouverte), qui oscille entre les niveaux amateur averti et carrément pointu, la seconde s’appuyant sur la dégustation de trois vins dont il faut trouver certaines caractéristiques. Les vins remarquables de cette course de semi-fond : un muscadet-sèvre-et-maine bio (Domaine de l’Écu, Expression d’Orthogneiss, 2013) complètement atypique, onctueux, avec des notes de poire et de miel (j’avais plutôt coutume de trouver le melon de Bourgogne acide et inexpressif) et un vin italien à dominante cabernet (Tenuta San Guido, Bolgheri Sassicaia, 2011) de peu d’intérêt, mais qui se révèle coûter mille euros ! Jean-Robert Pitte, l’illustre président de notre jury, reconnaît être de notre avis : ce vin est comme les habits neufs de l’empereur, il est resté hors de prix parce que personne n’a eu le courage de dire haut et fort qu’il ne le valait pas.

 

    Quant à la finale... comme d’habitude, ce ne sont que de très grands vins. Lors d’une édition précédente, nos collègues avaient eu droit à du Château Margaux. Ici, nous avons sept minutes pour déguster un champagne et un vin rouge, et je peux vous garantir que sept minutes pour élaborer un commentaire collectif sur deux vins qu’on n’a jamais eu l’occasion de goûter dans sa vie, c’est très court. Bref, j’ai eu dans la bouche un Bollinger R.D. 1988 et un La Tâche 2001 et je n’en ai même pas profité, quel gâchis ! Mais pour un club qui n’a pas les moyens de s’offrir des bouteilles plus vieilles que ses membres ou à plusieurs milliers d’euros, nous nous en sommes glorieusement tirés.

 

    Comme souvent, c’est après la compétition que l’on commence à vraiment apprécier ce qu’on boit. Le cocktail prend place dans les appartements de Lily Bollinger (excusez du peu !), avec leur mobilier assorti aux couleurs pastel des tentures dans chaque petit salon et leurs portraits de famille à la Greuze. Le déjeuner est excellent, quoique moins réussi à mon sens que celui du concours Pol-Roger. Les fraises du dessert sont tristes d’avoir été cueillies en cette saison, et l’accord mets-vins est moins inspiré (je garde un souvenir ému du Pol-Roger millésimé 2004 sur un suprême de volaille aux trompettes-de-la-mort). Quant au pinot noir tranquille de Champagne, c’est une curiosité qui mérite d’être testée une fois dans sa vie, mais peut-être pas deux. Pour moi, le vrai plaisir arrive le soir, à notre retour à Paris, quand toute la pression du concours est retombée. Le cocktail de clôture a lieu aux caves Legrand et filles, dans un de ces jolis passages couverts près des Grands Boulevards. On attaque encore avec du champagne Bollinger, bien sûr, en accord parfait avec des dés de saumon frais mariné au citron vert. Ensuite arrive un excellent chassagne-montrachet 1er cru (domaine Chanson, Les Chenevottes, 2011) puis un riesling (Grand cru Rangen, Wolfberger, 2010) d’un abord plus austère, tempéré par les portions généreuses de saint-nectaire que j’attrape sur les plateaux. Nous passons à l’étage pour poursuivre les conversations autour de plateaux de charcuterie et de vins rouges délicieux. Je goûte avec ravissement un Château Pichon Baron 2005, élégant, racé, sublimé par un millésime exceptionnel ; j’y retrouve la griffe qualitative du domaine, que je connaissais par son autre pauillac, Château Pibran (excellent), mais aussi par son célèbre sauternes Suduiraut et par son nuits-saint-georges, Domaine de l’Arlot (je recommande spécialement le Clos du Chapeau, toujours très réussi et d’un bon rapport qualité-prix). Je termine la soirée au barolo (Domaine G. D. Vajra, Bricco delle Viole, 2009), puissant et velouté à souhait.

 

Spit_candidates

    Bilan de ce concours : merci à Sciences Po pour une organisation parfaite, et à Bollinger pour sa générosité. Je garderai le souvenir d’un concours prestigieux et très instructif, avec de magnifiques moments œnologiques ; mais un La Tâche en trois minutes, quel crime !

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