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Raisin et sentiments
27 août 2015

Vins chiliens (4) : Colchagua. Montes et Lapostolle

MontesLapostolle

    La voiture que nous louons pendant une semaine nous permet de voir du pays. Le principe est simple : mon mari conduit, je bois – car au Chili, c’est tolérance zéro au volant (en principe du moins). Notre première étape est Santa Cruz, petite ville au sud de Santiago qui n’a d’intérêt que son musée (étonnamment bon), son casino et son emplacement en plein cœur du vignoble réputé de Colchagua.

Montes_miroir

    Par ce matin d’hiver où le soleil rasant fait scintiller la terre givrée, nous roulons vers Apalta, une sorte d’enclave au sein de la vallée de Colchagua, où sont produits les meilleurs vins de la région. Le long de la route, les architectures mégalomanes des divers domaines rivalisent d’audace. Celle de la maison Montes, avec son design sobre et ses matériaux naturels (miroir d’eau, passerelles en bois brut), rappellerait presque la Scandinavie. Tressautant sur la remorque d’un petit camion, nous commençons le tour par un panorama du vignoble, sur les contreforts, parmi les lauriers peumo. Ne nous méprenons pas, Montes exploite des vignes dans tout le Chili – les vins au sein d’une même gamme peuvent avoir des provenances variées, et il n’est pas rare que le raisin parcoure des kilomètres entre la vendange et la cuve ; ici, nous ne voyons que les parcelles emblématiques de la marque. S’ensuit une visite du chai, dont nous comprenons mieux à présent les lignes épurées : l’orientation du bâtiment, les poutres en bois, la forme des cuves, tout est feng shui. Je retiens poliment mon opinion, mais le plus fort est encore à venir… Nous arrivons à la salle où vieillissent les grands vins, et là s’ouvre devant nous un amphithéâtre où les barriques, sagement alignées sur les gradins, écoutent du chant grégorien en tournant leurs faces rondes vers deux flamboyantes peintures abstraites accrochées derrière une baie vitrée. Comme disait le célèbre scientifique Niels Bohr quand on lui demandait pourquoi il gardait un fer à cheval : « Je ne suis pas superstitieux, mais il paraît que ça marche même si on n’y croit pas. »

Montes_ange   Montes_PurpleAngel12

    Nous dégustons quatre flacons dans une belle salle après la visite, puis trois autres au Bistro Alfredo, le restaurant du domaine, que je recommande au passage. Dans l’ensemble, les vins produits par Aurelio Montes (propriétaire et œnologue en chef) sont de facture honnête, mais peu marquants – cela dit sans avoir goûté Taita, le grand vin de la maison qui coûte des centaines de dollars. Passons sur les vins basiques (Montes Classic series) qui n’ont guère de caractère, si j’en crois le cabernet sauvignon essayé la veille au dîner. Le sauvignon blanc 2014 de Leyda que nous goûtons dans la gamme au-dessus (Montes Limited Selection) est fort en agrumes et très sec. Montant toujours en qualité, on teste un échantillon significatif de Montes Alpha : d’abord un chardonnay 2013 de Casablanca, droit sorti d’un fût chauffé (vanille, noix de coco, toast), avec une tension assez saline. Puis trois rouges de Colchagua : un carménère 2013, avec un nez de pruneau et une bouche concentrée, un cabernet sauvignon 2012 où le bois l’emporte encore sur le fruit, et enfin une syrah 2012 dans laquelle les classiques poivre blanc, cassis et violette se mêlent à la garrigue et à de puissantes notes fumées. Nous nous attaquons ensuite à une gamme spéciale, Outer Limits, qui donne dans la viticulture extrême : l’assemblage Wild Slopes (50% carignan, 25% grenache, 25% mourvèdre) vient d’une parcelle que nous avons vue là-haut, avec une pente à 45°… Au nez, c’est la groseille, le caramel, le cuir ; en bouche, le poivre vert domine, avec tanins et acidité. Pour finir, on a droit à l’un des vins « icônes », le Purple Angel (92% carménère, 8% petit verdot de Colchagua), millésime 2012 : le côté variétal (poivron, herbe coupée) se double d’une rondeur charnue et fruitée, avec une bouche assez longue.

 

Lapostolle_couronne2   Lapostolle_chai

    L’agneau de Patagonie et l’araignée de mer du déjeuner, tous deux généreusement arrosés, invitent à la sieste… Mais nous poursuivons héroïquement nos pérégrinations en allant frapper à la porte du voisin. La Casa Lapostolle, avec son étrange couronne de madriers incurvés, se repère à des kilomètres tel un château de littérature fantasy. Elle appartient à Alexandra Marnier-Lapostolle, de la puissante famille française propriétaire de Grand Marnier. Nous ne rencontrons pas la maîtresse des lieux, établie en Suisse, mais son sommelier nous accorde une visite privée dont nous ne perdons pas une goutte – c’est le cas de le dire. Depuis la terrasse couronnée, on voit en amont les pavillons individuels de la résidence Lapostolle, palace en pleine nature, et en contrebas les vignes d’Apalta, des ceps d’origine bordelaise dont certains sont presque centenaires. Ce n’est qu’en 1991 que le domaine a été racheté aux Rothschild, et déjà le Clos Apalta, chouchou de la maison assemblé chaque année par l’illustre Michel Rolland, est devenu le premier Meilleur vin du monde issu d’Amérique Latine avec son millésime 2005. Le bâtiment est le chef-d’œuvre d’un architecte chilien, qui a creusé les fondations à même le granit de la montagne. L’intérieur est d’une esthétique qui, à défaut d’être feng shui, reste très élégante. La dégustation se fait au milieu des fûts, dans une salle immense dont le plafond voûté en bois constellé de petites lampes donne l’impression d’un navire renversé converti en planétarium. Ivan nous sert trois vins, en commençant par un sauvignon blanc de la gamme ordinaire, Casa, appellation Valle del Rapel, 2014 : la pêche et les fruits exotiques évoquent un peu le viognier, mais avec une certaine fraîcheur en bouche et une pointe acide. Nous passons à la Cuvée Alexandre, le second vin, un merlot bio d’Apalta (2012) : si l’on perçoit bien la cerise au premier abord, les tonalités du bois l’emportent largement avec une profusion de vanille, cuir, tabac qui enveloppent une bouche très puissante ; les tanins méritent d’être domptés par quelques années de garde.

Lapostolle_entree_cave

    Arrive le point culminant de la dégustation : notre guide nous fait l’honneur d’une inoubliable visite… sous la table. Rien de scabreux, rassurez-vous : l’immense table en verre où nos verres étaient posés se soulève pour révéler l’entrée de la cave privée d’Alexandra Marnier-Lapostolle, que nous devinions déjà par transparence. L’escalier dérobé accède à de fascinantes murailles de bouteilles toutes plus mythiques les unes que les autres, tant françaises que chiliennes. Au fond, le granit brut ruisselle doucement d’humidité naturelle. Émus par cette vision, nous en oublierions presque de faire honneur à notre verre de Clos Apalta 2011 (57% carménère, 34% cabernet sauvignon, 9% merlot) ; et pourtant, les parfums en sont charmeurs (cerise noire, rose, caramel, une touche végétale) et la bouche intense, veloutée et noble. Je ne paierais sans doute pas cent euros pour cela ; mais allez exiger une telle qualité auprès d’autres domaines chiliens, ils vous répondront qu’il n’y a pas marqué Lapostolle !

Lapostolle_bouteilles

 

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