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Raisin et sentiments
25 août 2015

Vins chiliens (3) : le pinard enchêné

lamas_vigne

Le lama, tondeuse naturelle.

    À présent, quelques remarques d’ordre global avant d’entrer dans le détail des domaines visités. Tout d’abord, je n’ai pas eu de véritable coup de cœur pour les vins blancs, si plaisants qu’ils pussent être (mes chers bourgognes m’ont bien manqué)… Ceux qui m’ont fait la plus forte impression sont les blancs moelleux – intéressants dans la variété des cépages et des méthodes, et peu onéreux – et, dans le sens négatif, les effervescents – les quelques uns que j’ai testés étaient très bon marché, mais absolument imbuvables. Face à la sempiternelle alternative entre chardonnay et sauvignon, je me suis fréquemment rabattue sur les rouges, plus riches en bonnes surprises. Mais aux légions de monocépages quelque peu standardisés, j’ai préféré quelques très beaux assemblages signés par de talentueux œnologues.

    Sur la scène mondiale, le Chili est réputé pour ses vins abordables ; il est vrai que, contrairement à la France, c’est un pays où l’on trouve des bouteilles honnêtes dès cinq euros. À l’opposé, les gammes « premium » des grandes maisons font flamber les prix, de soixante à plusieurs centaines d’euros la bouteille, dans une surenchère qui ne correspond plus du tout à la qualité réelle du vin. Notons que ces deux extrêmes sortent souvent des mêmes immenses entreprises qui comptent leurs bouteilles par millions. À mon avis, c’est au milieu, entre douze et vingt euros, que l’on trouve les meilleures affaires, des vins sincères et bien travaillés. Une bonne idée, si vous souhaitez découvrir les vins les plus chers, est de les déguster au verre à la propriété : pour quelques milliers de pesos, on vous servira quinze généreux centilitres (parfois un meilleur rapport quantité-prix qu’à la bouteille !). Pour ce qui est de l’achat de vin, le prix propriété est souvent une bonne affaire, mais pas toujours : Altaïr propose des tarifs deux à trois fois moins chers qu’ailleurs sur tous ses vins, mais le fameux Clos Apalta vendu 120 000 pesos (150€) à la Casa Lapostolle coûte 65$ (56€) en Floride – une sombre histoire de taxes… Chilienne de vie !

foudre

    La législation au Chili est largement plus souple que dans les vieux pays viticoles : on y voit assez librement appliquer des pratiques interdites ou réglementées ailleurs, au vignoble (irrigation) comme au chai (fûts aromatisés lors de la chauffe). D’un autre côté, les maisons les plus en vues se payent le luxe de snobismes étranges : fermentation à l’ancienne dans des foudres de chêne hors de prix ou dans des œufs en béton (la dernière marotte à la mode), remontage par ascenseur, désherbage par lamas, biodynamie poussée jusqu’à l’absurde… Derrière toute cette sophistication peuvent se cacher d’étranges partis pris. Tout grand domaine produit jusqu’à une dizaine de marques différentes, chacune d’elles recouvrant à son tour une gamme plus ou moins vaste de cépages – ce qui ne manque pas de donner le tournis quand on a l’habitude de voir un nom correspondre à un seul vin ; or, les dénominations Reserva, Gran Reserva, Icon wine, Premium, Ultra-premium n’ont aucune valeur objective, elles ne représentent qu’une hiérarchie propre à chaque domaine, mais dont l’unique critère objectif et universel est… le bois. Un vin « meilleur » (et donc plus cher) aura passé plus de temps dans une barrique plus neuve en chêne plus français. Les fûts neufs du premier vin passent au second vin l’année suivante, puis au troisième vin… La sélection parcellaire, le tri du raisin et les qualités organoleptiques entrent aussi en compte, mais il importe surtout que le résultat final soit plus futé qu’un bison, plus barricadé qu’un communard, plus foudroyé qu’un paratonnerre. Les vins primés, prisés, à prix élevés, sont ceux qui montrent par leur gras, leurs épices et leurs tanins de quel bois ils se chauffent.

oeufs

Sex toys design ? Non, cuves de fermentation.

    Pour terminer, quelques petits conseils au touriste œnophile. Tout d’abord, si vous avez un peu de temps, évitez les classiques tour operators qui proposent tous les mêmes programmes, limités et assez chers : louez comme nous une voiture et promenez-vous librement. Beaucoup de vignobles au Chili proposent des visites suivies d’une dégustation ; ces visites sont à heures fixes, guidées et payantes (autour de 10 000 pesos / 14€ pour un tour standard avec trois vins dégustés) : renseignez-vous au préalable ! Durant la basse saison, le repos de la vigne rend le paysage un peu morne, mais vous pourrez profiter de tours privés ou presque (surtout si vous demandez la version anglophone), alors qu’en été vous vous retrouverez dans des groupes de trente personnes à écouter un discours préfabriqué. Au bout de deux ou trois domaines, les visites deviennent coûteuses et répétitives : sachez donc que vous pouvez demander une dégustation seule chez certains producteurs, ou vous contenter de prendre quelques verres au bar.

    Tâchez de sortir des sentiers battus par les agences touristiques. Pour mon premier contact avec l’Amérique du Sud, j’ai principalement suivi les indications de Wines of Chile, et je ne regrette pas d’avoir pu me faire une idée sur certains incontournables du pays, qui payent d’ailleurs des sommes astronomiques pour être systématiquement et exclusivement recommandés, car certains font plus de profit dans le tourisme que dans le vin ! Mais je vous engage aussi à essayer autre chose que ces grosses entreprises qui tiennent plus du business que de l’industrie et plus de l’industrie que de la viticulture. Faites-vous conseiller par les indigènes pour trouver les petits producteurs, ou à défaut, tentez les bars à vins (Bocanáriz, Barrica 94…), qui offrent plus de choix que les restaurants. Dernier détail, vérifiez la température du vin qu’on vous verse : le pinot noir sorti du frigidaire peut aisément se réchauffer dans le verre, mais méfiez-vous des autres rouges que certains établissements vous serviront à 20°C… du red hot Chili, en somme !

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